Just married ! -  5 juin

5 juin

Just married !

E-llico.com / Actus

Just married !
5 juin

Mis en ligne le 07/06/2004

Tags

VOIR NOTRE PLANCHE PHOTO

Le parc de la mairie de Bègles est baigné d’une douce lumière, le gazon taillé de frais et les fleurs nombreuses. Pourtant un détail surprend : une énorme pelleteuse jaune, celle des services techniques de la ville, est garée en travers de l’allée principale qui mène à la mairie bloquant la grille d’entrée. Il faut dire qu’on s’attend à de l’agitation aux alentours de la mairie où a lieu, ce 5 juin, le premier mariage homo en France.

Tôt dans la matinée des CRS sont arrivés et attendent dans une rue adjacente. Quelques badauds et journalistes encombrent le comptoir du Tassigny, petit bar qui fait face à l’entrée. Pour lui, c’est un peu jour de gloire. Tous les accès au parc de la mairie ont été fermés. Des militants Verts, dont des élus parisiens, assurent le service d’ordre. A l’extérieur, les premiers opposants déploient vers 9 heures leurs banderoles. "Créé pour l’occasion", comme le rappelle Marc de la Harie, son co-président, le Collectif pour les droits des enfants donne le ton de la protestation en enchaînant les interviews aux télés, aux radios, répondant avec des formules toutes faites aux questions des journalistes. "Nous sommes là pour rappeler que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme", entonne Marc de la Harie. "Nous demandons le maintien du droit à la différence…". Mais d’autres pays ont autorisé le mariage homo pour quoi ne pas suivre cet exemple ou du moins ouvrir le débat ? "Ce n’est pas parce que certains pays vieillissants ont des tendances suicidaires qu’il faut les suivre et mettre en péril l’avenir de notre société". Fermez le ban ! A l’extérieur toujours, une Bèglaise conspue le maire. Elle brandit un énorme gode de porcelaine qu’elle veut offrir aux mariés et au maire.

Vissée derrière une grille en compagnie de deux voisines, Jacqueline est venue "pour voir les mariés". Elle ne condamne pas : "Chacun fait comme il veut. Les gens chez nous, il y en a qui sont pour et d’autres contre. En tous cas, cela fait parler en ville et on trouve qu’il y a trop de journalistes". Bèglaise depuis 1961, Marcelle constate que la stratégie de Noël Mamère n’est pas toujours comprise. "Les gens ne font pas bien la différence entre l’action politique du député et celle du maire. Ce qui est certain, c’est que cela influera sur le vote aux prochaines élections municipales." Pendant que quelques Bèglais patientent, Noël Mamère salue les journalistes depuis la fenêtre de son bureau. Il pose avec Francine Bavay, vice-présidente Verts de la région Ile-de-France, puis avec Clémentine Autain, adjointe de Bertrand Delanoë. Vers 10 heures, c’est la livraison des fleurs et d’une corbeille d’osier pleine de pétales de roses. Peu après un des avocats du couple, Maître Pierrat, sort dans le parc à l’issue d’une ultime réunion de travail.

"Nous avons travaillé jusqu’à deux heures du matin, hier", explique l’avocat. "Ces derniers jours, les coups de Perben se sont enchaînés. Le parquet a essayé par tous les moyens d’empêcher ce mariage. Il a inventé chaque jour un nouvel artifice juridique qui s’est aussitôt écroulé. Pour le moment, la justice s’est opposée à la tenue de ce mariage mais avec des arguments qui, à notre sens, ne permettaient même pas de saisir la justice. Il faut désormais attendre, une fois que le mariage aura eu lieu, une action en nullité. Mais ce mariage va avoir lieu, il sera valable jusqu’à ce qu’une décision de justice dise qu’il ne l’est plus. Mais, nous n’en sommes pas encore là et nous ferons valoir nos arguments qui sont nombreux à ce moment-là".
##
Dehors, les opposants ont depuis longtemps sorti des banderoles violentes aux slogans haineux et homophobes. Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, déployées en croix, leur font face dans un stoïcisme d’une retenue et d’une force incroyable. Philippe de Villiers, en visite à La Rochelle pour un meeting, élections européennes obligent, a profité de l’occasion pour, ceint de son écharpe d’élu, faire son numéro sur la décadence de la société et dénoncer la "chienlit". Un petit tour devant les caméras, histoire d’être sûr d’être dans les journaux télévisés, et le député de Vendée s’éclipse rapidement sous les quolibets et les huées des défenseurs du mariage gay. "On ne peut pas les haïr, ils ont peur. Le monde change et ils ont peur, clame une Sœur de la Perpétuelle indulgence, regardant droit dans les yeux un groupe venu faire la claque en soutien à De Villiers.

Vers 11 heures, Bertrand et Stéphane, les jeunes mariés, arrivent enfin dans une tonitruante Rolls-royce avec ruban blanc et plaque "Just married". Accompagnés de gardes du corps, ils s’engouffrent dans la mairie. Vers la grille d’entrée, une femme d’une cinquantaine d’année crie dans le parc de la mairie : "Mamère, gros pédé de la république !" "Allez calme toi, cela ne va pas durer longtemps" lui répond un des vigiles qui contrôle l’accès au parc. La cérémonie se déroule. Quelques applaudissements viennent de la salle des mariages. Ils tranchent avec les "Mamère, fasciste. La loi tu la prends par-derrière " qu’hurlent, derrière les grilles, les manifestants du Collectif des droits des enfants. Trente cinq minutes plus tard, les jeunes mariés, à l’évidence émus, sortent sur le perron. Ils sont les premiers mariés homos de France. Ils sont bientôt entourés d’élus Verts puis de leur famille, de leurs amis. Des militants d’Act Up jettent du riz rose sur les mariés qui prennent la pose pour les photographes, certificat de mariage en mains. Dans les salons de la mairie envahis par les journalistes, élus, membres de la famille sont interviewés, filmés, photographiés dans une cohue générale.

"Je suis super ému, confie Christophe Girard. L’adjoint Verts à la Culture de Bertrand Delanoë est venu spécialement pour l’occasion. "Ce mariage a eu lieu et j’en suis très fier. Il a eu lieu malgré tous les obstacles mis sur la route des mariés jusqu’à des méthodes inhabituelles pas très dignes de la patrie des droits de l’homme. Aujourd’hui, je suis fier d’être Français". Tout le monde, en mairie, semble content. Dehors, la police surveille les opposants qui ont plié leurs banderoles. Noël Mamère s’est enfermé dans son bureau. Il a pleuré lors de la cérémonie et n’a pas voulu poser sur le perron avec les mariés. Le calme revient devant le Tassigny. La pelleteuse fait toujours tache dans le décor. Trois clochards gueulent parce que le bus ne passe pas pour cause de manifestation. Les Verts vont célébrer le mariage dans leur local de Bordeaux. "Que fait la police ?" lance-t-il goguenard à un policier perché sur une mobylette. Noël Mamère va déjeuner sur un stand de la fête de la morue. Les jeunes mariés s’engouffrent dans leurs rolls. Ils repartent vers Bordeaux pour un nouveau point presse.

Dans le local des Verts, les mariés remercient leurs trois avocats, et leurs soutiens, les militants, etc. Manifestement dépassés par les événements, ils renoncent à aller à la Gay Pride de Bordeaux qui a pourtant prévu un bouquet de fleurs pour eux. C’est leur avocat, maître Pierrat, qui, en ouverture de la marche, prend la parole pour dénoncer le gouvernement et appeler à voter contre l’UMP aux prochaines européennes. Oubliées les tensions devant l’hôtel de ville du matin, oubliés les masques de Jospin qui cachaient le visage de manifestants opposés au mariage, oubliés les groupes d’extrême droite venus en découdre contre les pédés, l’ambiance à Bordeaux est à la fête, à la joie de ce premier mariage gay. Tout le monde est content pour eux. Tout le monde hue de Villepin qui, dès le mariage achevé, à parler de sanctions contre Noël Mamère. Tout le monde hue Perben qui a déjà demandé au parquet d’obtenir l’annulation de ce premier mariage homo. Près du char d’ouverture de la marche, le bouquet attend dans un seau sous le soleil. Qui prendra le bouquet des mariés ?

Jean-François Laforgerie

Lire notre édition spéciale mariage gay


VOIR NOTRE PLANCHE PHOTO

A lire aussi :
Mariage : le mouvement gay dénonce les sanctions du gouvernement

Mis en ligne 07/06/2004



Retrouvez les archives d'Illico / E-llico.com.

Plus 40.000 articles de la rédaction retraçant la vie de la communauté LGBT dans les domaines politique, sociétal, culturel et sanitaire de 2001 à 2022.

Tapez un mot-clé exprimant votre recherche dans le moteur de recherche ci-dessus.