Sébastien raconte son calvaire -  Interview

Interview

Sébastien raconte son calvaire

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Sébastien raconte son calvaire
Interview

Mis en ligne le 30/11/1999

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Une annonce sur la porte du garage pour un perroquet disparu — Sébastien Nouchet les collectionne —, un quartier aux allures tranquilles à Nœux-les-Mines, une petite maison. Fatigué des visites matinales du médecin et du kiné, Sébastien se repose dans le canapé. Des gants médicaux protègent ses mains, brûlées comme la quasi totalité de son corps. Sébastien Nouchet, accompagné de son ami Patrice Jondreville et de sa mère Jacqueline, a accepté de répondre aux questions d’”Illico”.

De quand datent vos premiers ennuis ?

Tout a commencé le 31 octobre 2001. C’était le jour de l’anniversaire de Patrice, mon copain. J’étais allé promener les chiens dans un parc à Lens où nous habitions alors. J’ai été interpellé par deux jeunes qui m’ont demandé les clefs de ma voiture. J’ai refusé. Ils m’ont aspergé le visage à coups de bombe lacrymo. Je suis tombé à terre et ils m’ont donné de violents coups de pied. J’ai dû lâcher mes clefs. Ils sont partis avec la voiture.

J’ai porté plainte contre X. Puis j’ai eu un rendez-vous pour consulter le fichier de la police où j’ai reconnu un de mes agresseurs. Il a avoué les faits mais n’a pas dénoncé son complice. Sur le trousseau de clefs, il y avait celles de notre maison. Nous avons bien sûr changé les verrous mais les ennuis ont commencé. On a essayé de faire pression sur moi pour que je retire ma plainte.

Auparavant, aviez-vous, Patrice et vous, été victimes d’agression ou d’insultes homophobes ?

Jamais. Nous n’avions jamais été interpellés ou insultés parce que nous sommes homos. Tout a commencé par ce banal vol. Après, pour nous intimider, on a cassé les vitres de notre maison et on a, par deux fois, mis le feu à notre porte. A chaque fois, nous avons porté plainte et il y a même eu des condamnations.

Face à autant d’agressions, avez-vous pu bénéficier d’une protection policière ?

Non. Nous avons certes été reçus par l’adjoint à la sécurité de la mairie de Lens qui nous a dit qu’il allait faire le nécessaire mais il n’y a rien eu. Le maire devait nous recevoir mais il ne l’a pas fait alors que nous avons été victimes d’agressions et d’intimidations sur une période très courte. Cela nous a contraint à quitter Lens pour Nœux-les-Mines en décembre 2002. En août, les problèmes ont recommencé. Il y a eu des coups de téléphone avec menaces. Et puis j’ai été agressé à mon domicile. J’étais à l’étage. Je suis descendu et là quelqu’un m’a attrapé, on m’a mis un truc au niveau de la gorge et on a serré. Je suis tombé mais je n’ai pas eu le temps de voir qui m’a agressé.

Que s’est-il passé le 16 janvier dernier, jour de votre agression ?

J’étais dans le sous-sol où il y a mes perroquets. J’ai entendu un bruit anormal à l’extérieur. Je suis allé voir dans le jardin. J’ai fait trois pas et la lumière automatique s’est mise en marche. Sur ma droite, il y avait trois jeunes qui étaient dissimulés dans l’angle. Ils se sont jetés sur moi. Deux m’ont pris les bras qu’ils ont tiré vers l’arrière pour m’immobiliser, la troisième personne m’a imbibé d’essence des pieds à la tête. Après elle a tiré un briquet de sa poche et m’a dit : “Tu vas crever sale pédé."

J’étais enflammé des pieds à la tête. J’ai crié, j’ai appelé au secours, à l’aide. J’ai pu éteindre mes cheveux en flammes avec mes mains. Je me suis roulé par terre pour éteindre le feu sur moi et c’est là que j’ai retiré tous mes vêtements avec mes mains, c’est pour ça qu’elles sont abîmées aujourd’hui. Je suis resté un moment nu sur la pelouse.

J’étais en état de choc. Je suis monté dans la salle de bain. Le petit-fils d’une de mes voisines est arrivé à ce moment-là, il a pris des serviettes, les a mouillées et les a placées sur moi pour que je reste éveillé. Les pompiers sont arrivés dix à quinze minutes après, ils m’ont placé sur le divan pour me soigner. La police m’a interrogé avant que je sois emmené à l’hôpital de Béthune. Là, je ne me souviens plus de rien. A mon réveil du coma, j’ai entendu la voix de maman qui m’appelait et qui me disait : “Si tu m’entends, bouges ton pied”.

Comment avez-vous appris l’arrestation d’un des auteurs présumés de votre agression ?

C’est mon avocat, maître Geoffroy, qui m’a appelé un soir en me disant : “J’ai une bonne nouvelle pour vous…” J’étais content mais quand il m’a dit que la personne arrêtée niait les faits, j’ai aussitôt pensé qu’elle ne donnerait pas les noms de ses complices. J’étais inquiet et je le suis toujours. J’ai davantage peur maintenant. Avec eux, il faut s’attendre à tout.

Avez-vous reçu un soutien de votre voisinage, de la mairie de Nœux-les-Mines ?

Le voisinage proche s’est un peu manifesté mais personne de la mairie n’est venu nous voir. Un autre maire nous a écrit. Comme il ne connaissait pas notre adresse, son courrier nous a été transmis par la ville. Le maire de Nœux a juste rajouté : “Bon rétablissement”. Nous n’avons eu aucun soutien psychologique, ni aucune aide d’aucune sorte de notre ville.

Que vous disent les médecins aujourd’hui ?

Pour les soins, j’en ai encore pour deux ou trois ans. Je ne dois plus m’exposer au soleil. Si je sors, je dois être vêtu des pieds à la tête quel que soit le temps. Je dois sortir sous un grand parapluie pour me protéger du soleil. Je suis aujourd’hui très inquiet pour mon poignet gauche qui ne bouge plus. Les doigts bougent mais le poignet est comme mort…

Quels sont vos projets ?

Nous allons partir mais nous ne savons pas pour où. Ce sera en dehors du Nord-Pas-de-Calais. Nous avons décidé de nous pacser. Nous en avions parlé avant mais nous n’étions pas prêts. Lorsque que je suis sorti du coma, Patrice m’a parlé de se pacser. J’ai pleuré.

jfl

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