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Archives/Actu-société/Pédophilie

Mis en ligne le 30/08/2001

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En haut de page :
pédophilie : la patate chaude des homos

Titre :
C’est pas moi, c’est lui

Chapô :
A la faveur de différentes affaires judiciaires, et de l’entreprise de dénonciation sexuelle menée contre Daniel Cohn-Bendit, la question de la "pédophilie" nous revient en pleine figure. Aujourd’hui, c’est chacun pour soi. Cela n’a pas toujours été le cas.

Par Jean-Baptiste Coursaud et Jean-François Laforgerie
Illustrations Waouh !

ARTICLE 3700 SIGNES
Cela ne nous regarde pas. C’est ce qu’une certaine partie de la société et les homosexuels presque unanimement ont décidé : la pédophilie n’a rien à voir avec l’homosexualité, et les homosexuels ne sont pas des pédophiles. Tenter d’expliquer pourtant que cela n’a pas toujours été le cas relève du tabou. A quoi doit-on désormais cet embargo permanent ? Peut-être à cette situation paradoxale qui voit simultanément une autre frange de la société lier délibérément, au travers de définitions partisanes, pédophilie et homosexualité. La marche blanche parisienne (manifestation du 3 mars contre les crimes sexuels sur mineurs qui, comme le raconte "Libération" (05/03) a été homophobe) en a été l’illustration.

Amalgames à la chaîne
Celle-ci n’est, en réalité, qu’un avatar des rassemblements populaires belges qui ont suivi l’affaire Dutroux en 1996, et ceux-là le point de départ de tous les amalgames. Amalgame puisqu’on y confondait "crime sexuel et attrait sexuel" (1). Désormais, la pédophilie, attirance sexuelle d’un adulte pour les enfants, était à jamais synonyme de tortures et d’assassinat. Amalgame puisque le vice-premier ministre belge, Elio di Rupo, se voyait contraint d’évoquer publiquement son homosexualité pour mettre fin aux rumeurs de pédophilie. Désormais, pesait sur chaque homosexuel masculin le soupçon de la pédophilie.

A ce phénomène de dénonciation sexuelle s’est superposée la volonté d’une disqualification homosexuelle. Ainsi en Belgique, l’affaire Dutroux a renvoyé aux calendes grecques l’examen de loi sur le partenariat gay. Aux Pays-Bas, la librairie gay d’Amsterdam a échappé de peu à un incendie criminel, tandis qu’un universitaire homo était accusé de diriger au travers de ses recherches un réseau pédophile. Mis en danger comme en accusation, les homos de ces pays ont alors eu tout intérêt à se défendre en rejetant pour de bon les pédophiles, quels qu’ils soient. D’autant qu’au même moment, certaines revendications homosexuelles trouvaient grâce aux yeux des politiques.

Les ponts sont coupés
En France, le phénomène est plus tardif et s’enracine dans d’autres affaires, mais le résultat est identique. Même amalgame sémantique, similaire marche blanche, stigmatisation des homos et surtout dénonciation sexuelle dont est victime Daniel Cohn-Bendit alors en pleine campagne électorale. Romain Goupil prend sa défense, certains médias gay s’insurgent (cf. encart page XX). Car aujourd’hui, force est de constater que les ponts sont coupés. Les homos font table rase d’un passé à certains égards solidaire et partagé. Toujours victimes de discriminations, poussés par la société au devoir d’exemplarité, ils excluent les pédophiles qui peuvent faire tache. Se souvenir que certains homos revendiquaient une pédophilie, c’est courir le risque d’une assimilation. Une position qui serait d’autant plus intenable lorsque sont réclamés le droit à l’adoption, un éveil aux sexualités dès l’école et une meilleure prise en compte de l’émancipation des jeunes homos.

Oublier ?
Il faudrait donc oublier. Oublier Tony Duvert, oublier René Schérer, oublier Guy Hocquenghem. Il ne faudrait plus se souvenir que certains des plus grands écrivains pédés ont pris fait et cause pour la pédophilie. Il faudrait relire l’histoire, la mettre en procès, et ne plus comprendre que ces prises de position, qui nous paraissent si impensables aujourd’hui, s’inscrivaient dans un désir utopique d’émancipation pour tous. Il faudrait souscrire aux propos de Jean-Claude Guillebaud, défenseur un jour, pourfendeur le lendemain, lequel prétendait sur les ondes de France Inter (22/02), citant Frédéric Martel (sic) : "Les homosexuels ont fait acte de repentance dans les années 80". Devrons-nous aussi nous repentir d’aimer "Mort à Venise" ?
jbc et jfl

(1) "La signification de la pédophilie", Serge André, conférence juin 1999.
(2) GLH : Groupement de Libération Homosexuelle. C’est une constellation de structures locales homos dans des villes universitaires, créée au milieu des années 70.
(3) FHAR : Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire créé en 1971 à la suite des événements de mai 1968.


ENCART 2
Derrière les mots
Entendons-nous. Qu’est-ce que la pédophilie ? Une "attraction sexuelle pour les enfants", indique le "Robert" (édition 99). Ce n’est pas suffisant. Il s’agit, selon le psychanalyste belge Serge André, de "l’amour électif des enfants — amour étant entendu dans son sens le plus large, du registre platonique jusqu’à l’acte sexuel le plus cru, et enfant désignant un jeune être qui n’a pas encore atteint la puberté." Ce qui, par conséquent, n’est pas la même chose que la pédérastie, que le "Robert" donne en synonyme de la pédophilie. C’est l’usage, péjoratif et stigmatisant, qui a galvaudé les deux termes. À l’origine, pédophilie ne désigne qu’un sentiment de la part d’un adulte pour un enfant. La pédérastie était, dans la civilisation grecque, l’initiation (vers 12 ans) puis l’éducation sexuelle (vers 14 ans) des jeunes garçons par des hommes plus âgés. Il faudrait par conséquent suivre l’avis de la pédo-psychiatre Caroline Eliacheff laquelle, dans "Ripostes" (La 5e, 04/03) suggérait d’utiliser le terme "pédo-criminalité" dans le cadre des différentes affaires judiciaires en cours à l’heure actuelle.
jbc

ENCART 3 2900 SIGNES
Les pédophiles, boucs émissaires des homos
Ancien co-fondateur et rédacteur en chef de "Gai Pied", Jean Le Bitoux, observateur engagé, depuis les années 70, revient sur les rapports entre militants homos et militants pédophiles.

L’enfant
En France, l’homosexualité vient d’une culture pédophile avec André Gide. En 1968, il existait même un comité d’action pédérastique révolutionnaire. Dans le discours du GLH à partir de 1975, il y a tout un héritage du FHAR notamment sur la question pédophile. A l’époque, il s’agissait de libérer son corps, libérer ses fantasmes. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque-là la majorité est à 21 ans, ce qui est bien tard. Dans les années 70 , tout est à libérer y compris l’enfant qui est corseté comme la femme, comme l’homosexuel. Aujourd’hui, on ne parle plus du tout du même enfant. L’enfant des années 70 était l’esclave d’une vieille civilisation, l’enfant d’aujourd’hui est extrêmement sacralisé.

Gai Pied
Cela ne coulait pas de source pour tout le monde. J’ai régulièrement été inquiet, par rapport à des articles relativement audacieux, de représailles judiciaires. Dans les années 70 déjà, la pédophilie est un sujet tabou. Il y avait cependant une conscience collective qu’il fallait libérer tout cela. René Schérer [philosophe très engagé en faveur de la pédophilie, ndlr] expliquait : pendant que tout le monde se libère, il ne faut pas oublier l’enfant. Je crois, concernant "Gai Pied", qu’est resté parfaitement gravé le souvenir de toutes nos adolescences homosexuelles. J’ai attendu 21 ans avant d’être majeur officiellement. Mon adolescence homosexuelle est passée à la trappe. Ces années ont été assez douloureuses pour pas mal de gens de ma génération. Le tabou de la pédophilie cache toute cette période où on est adolescent, où on a des désirs mais où on reste en carafe parce que rien n’est possible. C’est cela dont se souvient la génération de l’équipe "Gai Pied" à la fin des années 70.

Duvert
Tony Duvert [écrivain très engagé en faveur de la pédophilie, ndlr] tenait une rubrique dans "Gai Pied" où il affirmait : la question pédophile existe et certains gays sont pédophobes et ils considèrent que l’émancipation des homosexuels se fera sur le dos des pédophiles. On a inventé un homosexuel qui laisse de côté la question pédophile.

Le Coral
La date symbolique et funeste, c’est 1982, celle de l’affaire du Coral. La gauche est au pouvoir et l’extrême droite sort une affaire complètement farfelue, selon laquelle de grands intellectuels de gauche et des politiques iraient visiter régulièrement un centre pour jeunes ayant des difficultés psychologiques pour y avoir des ébats. Il y avait là une machination médiatico-politique qui a fait peur à tout le monde. L’affaire du Coral constitue un arrêt, non pas de la pédophilie, mais de la réflexion sur cette question.

Bouc émissaire
Aujourd’hui, je pense que les pédophiles sont toujours les boucs émissaires des homosexuels. Le débat n’est plus du côté d’un espace de liberté que les pédophiles n’ont toujours pas mais du côté de la jeunesse des homosexuels.
jfl

ENCART 4
Pauvre Daniel Cohn-Bendit !
Dans quelle galère la "journaliste" de "L’Express" ne l’a-t-elle pas conduit ! Aiguillonnée dans son entreprise par Bettina Röhl, néo-passionaria de la dénonciation sexuelle et fille de la terroriste allemande d’Ulrike Meinhof, Jacqueline Rémy a bien pris soin de citer les fameuses phrases accablantes hors de leur contexte. Le début du paragraphe incriminé (p. 159) s’inscrivait dans un chapitre , intitulé "Little big men" et consacré aux "jardins d’enfants antiautoritaires". Il racontait les déboires de Cohn-Bendit avec certains parents, choqués par le fait que des enfants, ayant vus leurs parents faire l’amour, veuillent en faire de même avec leurs petits camarades. Venait ensuite le passage que l’on connaît. Puis, le désormais "libéral libertaire" expliquait que tout ceci lui avait valu bien des problèmes. Plus intéressant pour nous, dans le chapitre suivant, "La douceur de vivre", Daniel Cohn-Bendit évoquait un co-locataire placardisé. Et concluait (p. 174) : "Dans son nouvel appartement, il s’est tout de suite fait reconnaître comme homosexuel. Maintenant il vit ouvertement son homosexualité. C’est un exemple qui montre que la collectivité peut changer notre façon de vivre la sexualité." Daniel Cohn-Bendit est un sale prosélyte, voilà la vérité ! Mais que fait Jacqueline Rémy ?
jbc

ENCART 5
Romain Goupil
Interrogé par "Libération" (23/02), Romain Goupil a pris la défense de Daniel Cohn-Bendit en déclarant : "Rien n’a changé, les attaques sont toujours les mêmes, lancées par le même genre de mecs qu’il y a trente ans. Moi, ça me donne envie de dire aux réactionnaires qui nous tombent dessus : oui je suis pédophile, oui je suis gay, ou je suis lesbienne." Sur son site internet, le mensuel "Têtu" titrait "Romain Goupil confond tout", et commentait cette citation (tronquée) par : "C’est sûr que ce genre d’amalgame fait avancer le débat…" Media-g, site gay de surveillance des médias, en rajoutait une couche : "Encore un bel amalgame entre pédophilie et homosexualité !" Rien que ça. Or ce que Romain Goupil signifiait, c’est que la pédophilie, avec la signification qu’en donnent les "réactionnaires", est la nouvelle arme qu’ils utilisent dans leurs campagnes de dénonciation sexuelle d’un homme politique, de la même façon que, pour briser une carrière politique, on l’accusait autrefois d’être homosexuel. Maintenant, passons à autre chose.
jbc

ENCART 6
Un précédent : Elio di Rupo
C’était en Belgique, en 1996, et en pleine hystérie Dutroux. Le scandale : le vice-Premier ministre socialiste Elio di Rupo fréquentait une place bruxelloise où converge la prostitution masculine homosexuelle, et était à la tête d’un immense réseau pédophile. Pas moins. Les rumeurs venaient d’un certain Olivier T., qualifié par la presse gay de l’époque de "jet-setteur gay". Aussitôt imprimées par la presse à scandale, elles avaient été récupérées par l’extrême droite flamande qui appelait à la démission de l’homme politique. Tout était faux et archi-faux. A la suite de cette campagne de dénonciation sexuelle, Elio di Rupo avait dû faire son coming out et dire que, non, il n’était pas pédophile, mais oui, il était homosexuel. Les commentateurs n’avaient pas manqué de souligner qu’une plus grande franchise sur son orientation sexuelle aurait peut-être valu au politicien moins de tracas.
jbc

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