«Plus un Stonewall qu’une Gay Pride» - Moscou 2006

Moscou 2006

«Plus un Stonewall qu’une Gay Pride»

Nikolaï Alekseev, un des principaux organisateurs de la première Gay Pride de Moscou, le 27 mai, dresse pour Illico le bilan de cette journée historique émaillée de nombreux incidents.

E-llico.com / Actus

«Plus un Stonewall qu’une Gay Pride»
Moscou 2006

Mis en ligne le 30/05/2006

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Comment avez-vous vécu cette journée du 27 mai ?



Nous avions la clôture de la conférence IDAHO le matin avec la signature et la discussion d’un appel de Moscou pour les droits humains. Puis, il y a eu une conférence de presse où tous les médias représentés à Moscou étaient présents. Entre temps, le chef de la police, ayant compris notre détermination, nous a informés que si nous marchions sans banderole de manière individuelle alors les choses se passeraient bien. Après tout est allé très vite. Nous sommes partis vers la tombe du soldat inconnu que nous voulions fleurir pour rendre hommage aux victimes homosexuelles du nazisme, celles qui sont toujours absentes des commémorations. Là, j’ai rapidement été arrêté. La co-organisatrice de la marche, Evgenia Debrianskaya, a, elle, été arrêtée devant la mairie de Moscou où devait se dérouler notre rassemblement. Curieusement, un député nationaliste, qui avait organisé un rassemblement illégal au même endroit et qui parlait à la foule n’a, lui, jamais été inquiété.

Etes-vous satisfait de la participation des militants LGBT à cette première mobilisation publique ?

Nous n’étions pas aussi nombreux que nous l’aurions souhaité [entre 40 et 50 personnes, dont la moitié venue de l’étranger, ndlr]. Dans un certain sens, c’était aussi volontaire de notre part. Nous avions pris la décision d’annoncer les plans de notre action seulement deux heures à l’avance. Nous voulions avant tout éviter de donner trop d’informations à nos opposants, ce qui a eu pour effet de limiter la diffusion de l’information auprès des gays et des lesbiennes moscovites. Malgré les pressions, malgré les menaces, malgré les interdictions illégales, nous sommes allés jusqu’au bout. L’affrontement était évitable, mais la police n’a pas fait son travail car elle n’en a pas reçu l’ordre de sa hiérarchie. Nous avons tous eu très peur pour Pierre Serne [responsable du groupe des gays et lesbiennes chez les Verts] lorsque nous avons appris qu’il avait été agressé une heure après la manifestation. Il va bien et pour nous c’est le principal. C'est un militant formidable.

Qu'avez-vous pensé de l'attitude de la police avant la tenue de cette marche?

La police a cherché à m’intimider avant la tenue de la manifestation. Le responsable de la sécurité de Moscou m’a fait convoquer dans son bureau pour m’expliquer que si la marche était légale il pouvait nous garantir "qu’aucun cheveux ne tomberait de notre tête". En revanche, il m’a déconseillé de maintenir la marche si elle était illégale [ce qui a été le cas]. Je lui ai expliqué à nouveau que toute interdiction était illégale et malheureusement pour lui, ni son grade, ni son bureau ne m’ont impressionné. Notre constitution est la base de tout. Les vues personnelles du maire de Moscou n’ont pas force de loi. En tout cas, pas pour le Conseil de l’Europe [actuellement présidé par la Russie, ndlr] si j'en crois les soutiens reçus. C’est donc, que nous devons bien avoir raison. Curieusement, une demi-heure après cet entretien, le tribunal de Moscou m’appelait pour m’informer que le juge considérerait le cas le lendemain matin en procédure d’urgence. Un cas exceptionnel en Russie ! Nous y sommes allés avec notamment Robert Wintemute, professeur de droit, qui portera cette affaire devant la Cour Européenne des droits de l’homme de Strasbourg en cas d’échec des procédures en Russie. Malgré une brillante défense de notre avocat, maître Dmitri Bartenev, le juge a expliqué qu’il n’était pas possible de garantir la sécurité de la marche. Quelques heures plus tard, le maire de Moscou annonçait mobiliser 1 000 hommes supplémentaires le lendemain pour nous empêcher de marcher. Il invitait aussi la population à téléphoner à la police à la moindre suspicion de début de marche dans Moscou. Les bonnes vieilles méthodes ont la vie dure.

Quel bilan tirez-vous de cette première Gay Pride ? Votre pari est-il réussi ?


Indiscutablement. C’est notre avis en tant qu’organisateurs. C’est aussi l’avis de ceux qui nous ont aidés pour ce festival et qui sont venus. Nous avons procédé à un débriefing ensemble le dimanche soir. Dans l’idée de tous, cela restera davantage comme un Stonewall (référence à la première révolte gay américaine à New York) que comme une Gay Pride classique. Il fallait de toute façon faire quelque chose pour montrer que nous n’avons pas peur de nos adversaires. Cela dit, nous ne sommes pas dupes. Les babouchkas qui étaient présentes pour nous insulter ou nous jeter de l’eau bénite étaient toutes commandées en petits groupes par des prêtres. Il est désormais de notoriété publique que leur prestation de samedi leur a été payée entre 10 et 20 euros pour les plus chanceuses. Les fascistes -les skinheads notamment- sont venus "casser du pédé", comme ils le font déjà avec les étrangers. Ils sont un peu tout à la fois : antisémites, xénophobes, homophobes…
En revanche, une seule chose que nous n’avons pas vue dans les rues ce samedi, c’est le million d’orthodoxes et de musulmans qu’on nous avait promis en février dernier. C’est la première fois qu’un festival et un rassemblement LGBT se tiennent en Russie. Vingt pays étaient représentés. Nous avons conjuré le mauvais sort des manifestations précédentes qui ont toujours été annulées à la dernière minute.

Les organisateurs de la Gay Pride étaient convoqués au tribunal le 29 mai. Que s’est-il passé ?

Aucune idée. J’ai pris la décision avec Evgenia Debrianskaya [une des co-organisatrices et la fondatrice du mouvement lesbien russe à la fin des années 80, ndlr] qui a aussi été arrêtée de ne pas y aller volontairement. Je pense que nous serons condamnés à une amende, sanction dont nous ferons appel.

Suite à cette journée, avez-vous reçu des messages ? D'où viennent-ils et que disent-ils ?

De partout. A la fois de toutes les régions de Russie où des anonymes espèrent que cela va permettre de faire évoluer les mentalités à moyen terme, mais aussi de l’étranger où les gens nous témoignent leur solidarité. Les premières Gay Pride sont difficiles partout. A Riga, en Pologne, etc. Le plus dur est de trouver le courage de commencer. Stonewall n’a pas vraiment été facile non plus. Certains parfois ne comprennent pas l’intérêt de "descendre dans la rue pour crier son homosexualité à la société". Il s’agit d’un raisonnement un peu limité qui émane le plus souvent de gens qui, heureusement pour eux, n’ont jamais connu la réalité de l’homophobie. Une marche pour l’égalité est avant tout porteuse d’une revendication pour obtenir des droits. Actuellement, nous partons de rien. Nous ne devons pas rester à ce niveau. Nous avons tout à gagner.
En 2007, nous referons une Gay Pride. D’ailleurs les militants qui étaient là cette année sont prêts à revenir et cela nous touche évidemment beaucoup. D’ici l’année prochaine, il va nous falloir travailler pour être sûrs que la seconde édition ressemble plus à une Gay Pride qu’à un "Stonewall".

Propos recueillis par Jean-François Laforgerie

>> "Merci aux militants français !"

"Nous tenons à remercier très sincèrement les militants et politiques français qui sont venus à Moscou pour nous soutenir et pour nous apporter un peu de leur expérience. Leur courage a été exemplaire. Ils savaient en venant que cela ne serait pas facile mais ils sont venus quand même. Nous leur devons beaucoup. Il y a eu une grande solidarité qui s’est échangée au cours de ces quelques jours. Certains ont hésité, d’autres se sont désistés mais pour ceux qui étaient là, nous espérons malgré tout que vous ne garderez pas un mauvais souvenir de notre pays."
Nikolai Alekseev, Nikolai Baev, Evgenia

Debrianskaya, co-organisateurs de la première marche LGBT de Moscou.

Lire notre dossier "Moscou : pride 2006, le défi".

Mis en ligne le 30/05/06

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