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Les victimes d’Ivry témoignent

Insultés depuis des semaines, menacés d’être brûlés parce qu’ils sont gay, Laurent et Nicolas voient leur vie basculer lorsqu’un groupe de jeunes de leur cité lance, dans la nuit du 13 au 14 juillet, dans leur appartement un cocktail Molotov. Ils racontent pour Illico.

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Mis en ligne le 03/08/2006

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Nicolas habite depuis octobre 2004 à Ivry sur Seine (Val de Marne) dans un ensemble de cinq immeubles de six étages qui jouxte des cités HLM. A son arrivée, il remarque qu’un groupe de jeunes fait un peu le bordel dans le hall et le couloir et du bruit à l’extérieur. Il en parle à ses voisins. Des plaintes ont déjà été déposées, mais cela n’a rien changé. Nicolas décide de faire avec. "Ce n’est pas moi qui, seul, allais faire la loi. Alors j’ai fait comme les autres habitants" explique Nicolas. Sa vie dans sa cité se déroule sans difficultés. Tout change avec l’arrivée de Laurent, il a quelques semaines.

Contrairement à ce qu’indiquent les premiers articles et dépêches consacrés à l’affaire, Nicolas et Laurent ne sont pas en couple. Nicolas rend service à Laurent en l’hébergeant, en dépannage. Quelques semaines se passent et puis, peu à peu le climat change. Fin mai, des insultes commencent à fuser à leur passage lorsqu’ils sortent de chez eux ou rentrent à leur domicile. "Lorsqu’on passait non loin du groupe de jeunes, on entendait "enculé", "suceur de bite". Des insultes lancées en l’air… comme çà, se rappelle Nicolas. Quand je descendais les poubelles, on m’insultait aussi sur le mode "Ça doit bien sentir la merde chez toi !". Laurent et Nicolas font avec. Ils font comme beaucoup de gays dans les banlieues. Ils prennent sur eux.

Le dimanche 9 juillet, tous deux vont boire un pot à Paris. Ils sont de retour chez eux vers minuit. Dehors, devant leur appartement, un groupe d’une dizaine de jeunes parle fort en écoutant de la musique assourdissante. Vers 1 h du matin, Laurent leur demande de baisser un peu la musique. "Je leur ai juste dit ; "Excusez-moi, est-ce que vous pourriez baisser un peu le son, raconte Laurent. Aussitôt, les insultes ont fusé. Nous avons entendu "Sales tarlouzes, on va vous brûler chez vous". Le ton est monté." Nicolas et Laurent appellent le commissariat qui envoie une patrouille de la BAC (brigade anti criminalité). Discussion avec les jeunes, discussion avec Laurent et Nicolas. On leur propose de déposer une main courante. Eux décident de porter plainte. Au commissariat, ils identifient un premier membre du groupe.

Le lundi 11 juillet, Laurent et Nicolas rentrent chez eux vers 17 h. En période de vacances, il y a toujours des enfants qui jouent dans le parc devant chez eux, des voisins qui passent. Ce jour-là, curieusement, il n’y a personne dehors. Ils sont encore à l’extérieur de leur appartement lorsqu’ils s’aperçoivent que leur fenêtre de cuisine a été explosée par un projectile. Au moment où ils entrent dans leur immeuble, Nicolas sent quelqu’un approcher rapidement pour les agresser. Laurent s’interpose. Il est violemment poussé contre les boîtes aux lettres par un jeune. Bousculades. Nicolas, qui habite au premier étage, ouvre sa porte. Au moment, où il tente de la refermer. Un coup de pied l’en empêche. Le jeune pousse la porte et leur lance, menaçant, "C’est qu’un début. On va vous brûler chez vous, sales pédés !".
" La vitre de la cuisine avait bien été détruite par un projectile lancé de l’extérieur. Il y avait de nouveau eu des menaces de mort. J’ai donc appelé le commissariat. Dehors, les insultes, les cris se poursuivaient. Une cannette a été jetée chez nous, puis une équipe de la BAC est arrivée" raconte Nicolas. Nouvelle discussion avec les jeunes groupés dehors. La police ramasse les projectiles lancés. Une nouvelle plainte est déposée mardi 12 juillet pour menaces de mort et insultes homophobes. Au commissariat, ils identifient un deuxième membre du groupe qui les insulte.

"J’étais dans un état de tension nerveuse difficilement supportable, se rappelle Nicolas. Alors, ce soir-là, nous avons été hébergés chez un pote. De toute façon, les jeunes nous avaient dit que nous n’aurions plus jamais une nuit tranquille. Le mercredi 13 juillet, nous nous rendons directement au commissariat pour, comme les policiers nous l’avaient proposé, être ramenés sous escorte chez nous. Les policiers nous reconduisent sans incidents. Dès qu’ils nous ont quittés, c’est reparti de plus belle. Des insultes… Les jeunes ont mis un cd de rap qui hurlait devant chez nous : "Les pédés, faut les couper ! Les pédés, faut les brûler !". Certains jeunes reprenaient les paroles.

De son côté, discrètement, Laurent prend des photos des jeunes qui les insultent et note les numéros des plaques minéralogiques de leurs véhicules. Le soir venu, Laurent et Nicolas surveillent toujours l’extérieur. "Nous nous sommes barricadés chez nous. Nous avions peur, raconte Nicolas. Comme nous avions eu des problèmes avec la porte d’entrée, j’avais placé la table à repasser pour bloquer la porte, rabattu celle des toilettes pour faire barrage et bloqué celle-ci avec la table de la cuisine. Nous étions comme des assiégés, comme dans un état de guerre. J’étais persuadé qu’il allait se passer quelque chose."

Nicolas se couche finalement tandis que Laurent surveille toujours. Vers minuit et demi, il voit un jeune passer, puis, dans le noir, trois autres se déplacer sur des trajectoires différentes mais en convergeant vers leur appartement. Il a juste le temps de crier pour réveiller Nicolas. Un cocktail Molotov, dont les mèches ont été allumées, est jeté dans leur appartement. Mal conçu, l’engin ne fonctionne heureusement pas. La police est appelée. Elle intervient rapidement puis récupère l’engin. "Delors, les policiers ont demandé qu’on leur jette un sac en plastique… ils venaient de trouver un deuxième cocktail Molotov" se souvient Laurent. La police relève quelques identités, puis procède à des interpellations.

"Je n’arrivais plus à raisonner, explique Nicolas. Je n’avais quasiment pas dormi les nuits précédentes. Une seule chose nous guidait Laurent et moi, c’était la survie. Nous avons passé la journée du 14 juillet au commissariat à déposer nos plaintes, à identifier nos agresseurs. Des interpellations avaient eu lieu. Le samedi matin, vers 6 h, nous avons déménagé. Au commissariat, on nous avait dit qu’il ne serait pas possible de rester dans ce quartier, ni même à Ivry."
Le mardi 18 juillet, les sept personnes interpellées, âgées entre 20 et 30 ans, sont déférées par le parquet de Créteil pour une comparution immédiate. Le procès est renvoyé au 5 septembre devant le tribunal correctionnel de Créteil. Les prévenus seront jugés pour injures et menaces de mort à caractère homophobe. Ceux qui sont soupçonnés d’avoir jeté le cocktail Molotov seront jugés pour tentative de dégradation par moyen incendiaire. Deux autres le seront pour complicité. En attendant, tous ont été remis en liberté et placés sous contrôle judiciaire.

Depuis cette agression, Nicolas et Laurent sont sans logement. Ils sont dépannés un peu par la famille, un peu par les amis, mais doivent, le plus souvent, se débrouiller seuls pour trouver un hébergement. La société de HLM, propriétaire de l’appartement de Nicolas, a bien proposé un nouvel appartement mais il est encore dans une cité, de surcroît voisine de celle qu’il a été contraint de quitter précipitamment. Nicolas l’a fait remarquer. Celle qui s’occupe de son dossier lui a répondu : "Allons, il ne faut pas être parano !"

"Nous sommes tous les deux sous tranquillisants, indique Nicolas, mais nous sommes décidés à aller jusqu’au bout. Tout cela est arrivé parce que ce groupe de jeunes n’a pas supporté que deux "pédales" leur tiennent tête sur leur territoire. Je n’avais aucune raison de leur donner raison. J’étais chez moi à Ivry. J’avais le droit d’y vivre comme bon me semble. Aujourd’hui, nous sommes dans des procédures compliquées avec les assurances, la demande d’aide juridictionnelle, notre avocat… Nous avons été menacés de mort, on a tenté de nous faire brûler, nous souhaiterions que ce qui leur est reproché soit requalifié par la justice en tentative d’homicide. Nous voulons aller jusqu’au bout."

Mis en ligne le 28/07/06

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