Le coming out du cinéma -

Le coming out du cinéma

Le cinéma gay n'a vu le jour ni avec "Le Secret de Brockeback Mountain" ni même avec "Mort à Venise". L'homosexualité s'est glissée dans le 7ème art dès ses débuts, plus ou moins insidieusement. Didier Roth-Bettoni publie une histoire, inédite et exhaustive, de "L'homosexualité au cinéma" qui recense et décrypte sur 700 pages les représentations des gays et des lesbiennes à l'écran. Interview.

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Le coming out du cinéma

Mis en ligne le 29/03/2007

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Par Julien Pierre



Si l'on assiste depuis quelques années à une floraison de films mettant en scène l'homosexualité, si les personnages gay et lesbiens sont légion et si nombre de réalisateurs et acteurs revendiquent ouvertement leur orientation sexuelle, l'homosexualité n'a jamais été absente des écrans depuis les débuts du cinéma. Didier Roth-Bettoni a entrepris de brosser cette "histoire" de l'homosexualité au cinéma à travers un ouvrage ambitieux et passionnant. Une somme de 700 pages sur un sujet quasi inédit en France. "L'homosexualité au cinéma" est une lecture de l'histoire de l'homosexualité à travers celle du cinéma, mais loin d'être un ouvrage "communautariste", il offre un formidable voyage cinématographique à la fois chronologique et géographique à travers près de 5 000 films. Interview.

On imagine parfois que l'irruption de l'homosexualité au cinéma est récente, qu'elle date des années 70/80. Or l'histoire que tu décris la fait remonter aux débuts mêmes du cinéma ou presque...

Oui, c’est très frappant de remarquer à quel point l’homosexualité est présente dès le cinéma burlesque du début du XXè siècle. Bien sûr, ce qui est montré là en général, ce ne sont pas vraiment des homosexuels mais des personnages qui, pour une raison ou pour une autre, sont obligés de prendre l’apparence de l’autre sexe, ce qui provoque évidemment des quiproquos et des gags très innocents mais où la connotation sexuelle n’est jamais complètement absente. Si j’osais, je dirais que c’est par la question de genre, la question queer, que l’homosexualité s’est faufilée dans les premiers films !

A partir de quelle période, l'homosexualité s'affirme-t-elle en tant que telle dans le cinéma occidental et quelles sont les étapes de cette évolution vers la visibilité ?



Le premier film dont on peut dire sans l’ombre d’un doute qu’il traite directement de l’homosexualité sans passer par l’alibi comique, c’est un film allemand de 1919 intitulé "Autre que les autres". C’est un film essentiel d’autant plus qu’il s’agit non seulement d’un film parlant d’homosexualité mais d’un film militant pour la tolérance envers les homosexuels ! Il faudra attendre près d’un demi-siècle pour trouver l’équivalent, avec l’émergence dans les années 60 d’un cinéma gay underground, revendicatif, expérimental et/ou érotique ! Entre temps, la relative visibilité dont bénéficient les homosexuel(le)s sur les écrans, en Allemagne, aux Etats-Unis ou en France dans les années 20-30 aura été brisée par la montée du fascisme et du nazisme en Europe, par la guerre ou, outre-Atlantique, par l’instauration d’un code de bonne conduite interdisant toutes les perversions, ce qui incluait bien sûr l’homosexualité. L’homosexualité ne va pas disparaître pour autant des écrans, mais il va falloir trouver des moyens de la suggérer. C’est une histoire qu’on connaît bien depuis "Celluloid Closet". Mais c’est une histoire qui, si elle vaut pour les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, ne peut pas être transposée partout. Je montre notamment, à travers de multiples exemples, à quel point le cinéma français en particulier a toujours eu un regard très différent et finalement assez bienveillant sur les homosexuels. C’est un peu schématique de dire cela, mais je pense que cela résume assez bien la situation. A partir des années 60, les choses changent, mais là bien plus vite et bien plus positivement en Europe qu’aux USA. En Angleterre, un film comme " La victime" en 1961 est un jalon très important. Idem en Italie avec l’émergence de l’œuvre de Pasolini ou en Allemagne avec la révélation de Fassbinder. La vraie visibilité homosexuelle dans le cinéma grand public survient un peu partout en Occident à partir de la fin des années 70, avec l’irruption de nombreux personnages homos dans les films. On est aujourd’hui plus que jamais dans ce mouvement, il n’y a quasiment plus de films qui puissent se passer d’un gay ou d’une lesbienne dans son intrigue, quand ils ne tournent pas spécifiquement autour de l’homosexualité. J’ajoute pour être complet que cette évolution dans le cinéma occidental s’accompagne depuis la fin du XXe siècle d’une présence absolument inédite des homosexuels dans les films en
provenance désormais de toutes les régions du monde !

A travers l'histoire, le cinéma est-il en avance dans le regard qu'il porte sur l'homosexualité ou traduit-il seulement le niveau d'acceptation de la société ambiante ?



C’est très variable selon les époques. Disons qu’en règle générale les images que le cinéma donne des homosexuels reproduisent la manière dont la société considère les homos (que ce soit les préjugés, la peur ou la tolérance) mais que parfois, un film ou un cinéaste sont visionnaires. Je ne citerai que deux exemples : lorsque Basil Dearden signe "La victime" en 1961, un drame où un avocat homo décide de mettre sa carrière en danger pour dénoncer les chantages dont sont victimes les gays, l’homosexualité est toujours interdite en Angleterre et le film, qui est un succès, marque le début des débats qui aboutiront six ans plus tard à la levée de cet interdit. Autre exemple d’un genre différent avec "Le droit du plus fort" où, en 1974, Fassbinder donne à l’homosexualité la même valeur (positive ou négative, peu importe) qu’à l’hétérosexualité. Pour moi, c’est le film le plus absolument moderne de l’histoire du cinéma. J’aurais pu aussi citer la place essentielle qu’a pu tenir le cinéma d’Almodovar dans la modernisation de la société espagnole.

Y a-t-il eu des films en particulier qui ont, à des moments donnés, marqué la société et favorisé une meilleure image de l'homosexualité ?



Je ne sais pas si la question de la "bonne image" des homosexuels est le bon critère pour juger. Bien sûr, là encore, tout dépend du contexte, de la période historique, de l’environnement politique. Mais parler de "bonne image", c’est sous-entendre qu’il faut que les films présentent toujours de bons homos, de gentilles lesbiennes. Or l’enjeu est ailleurs : on a le droit de montrer des homosexuels bêtes, moches, cruels, détestables, ridicules, il faut juste le faire avec un regard respectueux, un regard juste et pertinent. Je peux comprendre bien sûr la façon très violente dont les gays ont accueilli en 1980 un polar comme "Cruising" où Al Pacino enquêtait sur un serial killer sévissant dans les milieux SM : ils ont vu là une agression, une caricature, une attaque contre des modes de vie et une liberté qu’ils venaient juste de conquérir. Mais quand on regarde le film aujourd’hui, on se rend compte que ce n’est pas du tout un film hostile aux homos, je dirais même que c’est le contraire. Simplement, il est apparu à un moment où il était insupportable pour les gays américains que le seul film produit par un grand studio à montrer des homosexuels soit un film aussi noir !

Peut-on parler de cinéastes homosexuels et de cinéma gay comme d'un genre, à partir du moment où la thématique des auteurs ou des scénarios sont tout entier tournés vers la question gay ?

C’est une question complexe. Qu’est-ce qu’un film gay ? Un réalisateur est-il un réalisateur homo parce que ses films parlent d’homosexualité ? Je ne crois pas. Ça ne veut pas dire que je pense que le cinéma gay n’existe pas mais il recouvre une réalité bien précise et très circonscrite : le cinéma gay est un cinéma qui non seulement parle d’homosexualité mais surtout s’adresse d’abord et avant tout aux spectateurs homos. Le cinéma militant des années 70 comme "Race d’Ep" ou "Pink Narcissus", c’est du cinéma gay, de même que les comédies sentimentales homos que j’appelle identitaires qui sortent en général directement en DVD comme "Fluffer" ou "Boy Culture". Par contre, ni les films de François Ozon, ni "O fantasma", encore moins "Brokeback Mountain" ne sont des films gay. Ce n’est pas une question de sujet ou de personne, c’est une question de regard et de finalité.

Le sida a-t-il marqué son empreinte sur l'image de l'homosexualité au cinéma et de quelle façon ?

Je pense que le sida, par une sorte d’effet paradoxal, est pour beaucoup dans la façon plutôt positive dont l’homosexualité est aujourd’hui appréhendée par le cinéma. De même que la lutte contre le sida est très largement à l’origine des progrès législatifs enregistrés par les homosexuels, et notamment les couples homosexuels, dans de nombreux pays occidentaux depuis dix ans. Et le cinéma, en montrant des gays malades, des amants courageux, des militants engagés, en dénonçant les attitudes de rejets des familles, des religieux ou des pouvoirs publics, a joué un rôle très important dans ce processus.

On le voit, le cinéma gay connaît un vrai succès et passionne le public ; comment expliquer qu'il n'ait pas suscité davantage d'ouvrages ou de documentaires ?

En France, il n’y a en effet qu’un seul ouvrage qui date de 1984, c’est-à-dire d’avant le sida, qui se soit penché sur la question. On peut y ajouter quelques numéros spéciaux de revues entre 1980 et 1995, un très court documentaire diffusé sur Canal +, et c’est tout. Aux Etats-Unis, les rayons sont un peu plus fournis. Outre "Celluloid Closet" (le livre et le film), il y a de nombreux essais théoriques et quelques dictionnaires de films. Je pense que c’est parce qu’il y avait si peu de choses que j’ai tenté une approche aussi large, qui est à la fois chronologique et géographique, cinéphile et militante, en mettant en parallèle l’état des représentations des homosexuels au cinéma et la situation des gays dans les différents pays époque par époque. Lorsque je me suis lancé dans cette aventure pourtant, je n’imaginais pas que ça prendrait une telle ampleur, que j’aurais à voir tant de films (j’en cite plus de 5000 et je dois en avoir vu les 2/3) et que ça occuperait cinq ans de ma vie !

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