«l’homophobie : un manque de culture notoire» - Cameroun

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«l’homophobie : un manque de culture notoire»

Sociologue, Charles Gueboguo, poursuit depuis plusieurs années des recherches sur l’homosexualité au Cameroun. Sujet dont il a fait la thèse de son doctorat. Ce militant qui est aussi un des co-fondateurs de la toute jeune ONG Alternatives Cameroun revient pour "Illico" sur les événements homophobes récents qui ont marqué son pays ces derniers mois.

E-llico.com / Actus

«l’homophobie : un manque de culture notoire»
Cameroun

Mis en ligne le 16/06/2006

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Depuis quand travaillez sur l’homosexualité et pourquoi avoir choisi cette question très controversée notamment au Cameroun ?

En tant que sociologue, je travaille sur la question homosexuelle depuis six ans. En sociologie, il est de tradition d'interroger toutes les questions de sociétés qui paraissent "étranges" ou "hors des normes", c'est le cas de l'homosexualité au Cameroun. Je suis parti du constat que malgré l'homophobie ambiante et la législation en vigueur contre l'homosexualité, cette réalité socio-sexuelle se fait de plus en plus visible. Il s'agissait donc de comprendre les mécanismes et les logiques d'action de cette "visibilisation".

Dans votre thèse, vous évoquez des enquêtes de terrain effectuées à Douala et Yaoundé sur "la question homosexuelle". Les exemples que vous citez indique une fréquence forte des actes homophobes notamment en 2005. S’agit-il d’une augmentation par rapport aux années précédentes et comment expliquez-vous ce phénomène ?

L'année 2005 (fin de l’année et début 2006), plus que les années précédentes, s'est caractérisée par une prise de position homophobe des plus virulentes. Tout s’est dégradé à la suite du discours en décembre 2005 de l'archevêque de Yaoundé qui, dans son homélie de Noël, a vivement stigmatisé l'homosexualité, l’amalgamant entre autres à la pédophile. Il s'en est suivi toute une campagne, notamment médiatique [publication de listes de prétendus homosexuels qui auraient couché pour réussir socialement, dont des ministres en exercice dans plusieurs quotidiens], contre l'homosexualité.

Vous faîtes remarquer dans votre thèse que le Code pénal ne condamne pas l’homosexualité "virtuelle" mais en fait toute personne qui passe à l’acte en ayant des rapports sexuels avec une personne de son sexe. L’affaire des neuf personnes arrêtées à Yaoundé qui s’est conclue le 12 juin dernier nous prouve que la répression est beaucoup plus forte. Comment l’expliquez-vous ?

Tout cela ressort de la peur de ce que l'on ne comprend pas, de ce que l'on ne veut pas comprendre, de ce que l'on ne croit pas pouvoir comprendre. La question qu'on est en droit de se poser c'est pourquoi les "9" et pas les autres qui ont aussi été dénoncés dans certains médias ? La réalité, me semble-t-il, est que l'infraction dont parle l'article 347 bis du code pénal camerounais connaît encore quelques insuffisances et qu'il serait intéressant que les juristes en débattent sur la place publique.

Vous évoquez plusieurs raisons à la montée de l’homophobie au Cameroun qui se manifeste par des agressions, des arrestations, des procès. Quelle est selon vous la raison principale qui fait des homosexuels des boucs émissaires ? S’agit-il de détourner l’opinion publique des vrais problèmes ? S’agit d’une critique de l’occident (on parle souvent de l’homosexualité comme une importation de l’occident) ?

Les deux raisons peuvent être évoquées, mais il y a également le manque de culture notoire chez les individus que l'on ne saurait taire, ajouté au fait que plusieurs Camerounais semblent mal vivre l'hétérosexualité officielle qu'ils affichent. Partant de là, je me pose la question de savoir si cette répression n'est pas une manière d'éradiquer symboliquement une image de soi que l'on ne peut pas accepter à cause des stéréotypes sociaux dans lesquels on a été façonné : l'homosexualité sert alors de miroir révélateur s'inscrivant en faux contre un ordre phallocratique dominant institué.

Pensez-vous que le discours des Eglises contribue à développer ou renforcer l’homophobie dans le pays ?

Hélas, c’est certain. Dans une société où les rumeurs et la religion forment le lit des solidarités, de telles prises de positions ne peuvent que radicaliser ceux qui — et ils sont nombreux — sont convaincus que l'enfer, c'est les homosexuels. Ne sont-ils d'ailleurs pas très nombreux à affirmer que l'homosexualité au Cameroun est une source de sous-développement ? Cela peut faire sourire, mais aujourd’hui encore certains le pensent.

Début février des journaux camerounais avaient publié des listes d’homosexuels présumés. Comment cela a-t-il été accueilli par les gays, par la société dans son ensemble ? Est-ce une première ? Et quelle analyse en faites-vous ?

Ce fut le choc généralisé, tant chez les gays que chez ceux qui ont encore, Dieu merci, un tant soit peu une clairvoyance. Il s'agit d'une première. C'est ce qui peut expliquer la forte médiatisation que cette affaire a connue. Je dis, pour ma part, que cela a quand même eu le mérite, quoique maladroitement, de poser la question homosexuelle sur la place publique. Personne ne veut en parler, et ceux qui comme moi l'osent, sont taxés de pédés, d'idéologues et mêmes menacés dans leur carrière professionnelle. On ne peut plus se permettre en Afrique de croire que les démocraties vont se limiter aux débats de politiques politiciennes. Plus que jamais, il est question de poser le problème des libertés individuelles, de la laïcité, de l'avortement et de la place des homosexuels. Malheureusement, la démocratie nous a été imposée sans que l'on ne soit préparé à cette culture du débat de la "res publica" et des choses qui la concerne.

Propos recueillis par Jean-François Laforgerie

Mis en ligne le 14/06/06

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