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Le proviseur révoqué s’explique pour Illico

Parce qu’il a parlé de son homosexualité sur son blog, ce proviseur de Mende a été révoqué de son poste. L’affaire en dit long sur les rapports toujours conflictuels entre Education Nationale et homosexualité. Entretien avec l’intéressé.

E-llico.com / Actus

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Mis en ligne le 02/02/2006

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Emu par la mobilisation en sa faveur, M.C. revient ici sur les répercussions que sa révocation a eu sur son vie.

Outre les répercussions personnelles, une des questions que pose cette affaire, c’est de savoir où sont les limites du droit d’expression, du cadre privé et du champ de la liberté d’expression des fonctionnaires. Votre affaire atteste-t-elle d’un risque dans ce domaine ?

Cette liberté de ton ne m’a pas été reprochée. En revanche, le mélange des genres "vie personnelle – vie professionnelle" a été qualifié de faute, ce mélange des genres pouvant contribuer à donner une image indigne de la fonction. Le simple fait que le contenu de ce blog ait été signalé comme inconvenant (au sens étymologique : "qui ne convient pas") et soit remonté jusqu’aux échelons hiérarchiques supérieurs montre que cette analyse n’est pas sans fondement.
Par recoupement, on pouvait identifier l’auteur et penser que certains écrits trop personnels pouvaient choquer, dès lors que le chef d’établissement représente dans l’exercice de ses fonctions le ministre et incarne l’image de son établissement.

Certains amalgames sont délicats à gérer, les choix de vie, l’homosexualité par exemple, relèvent de la sphère privée et doivent restés dans cette sphère là. C’est en particulier pour cette raison que mon blog était sous pseudo. Ce n’était pas "le blog de M. X, proviseur du lycée Y". C’était le blog d’un anonyme. Pas identifié mais, hélas, identifiable par recoupements.

Quant au devoir de réserve, ses contours restent flous. Il ne faut rien faire, dire ou écrire qui puisse nuire à l’image de l’institution que l’on représente. Ce qui laisse une grande marge à l’interprétation.
S’interroger, non pas sur le fonctionnement d’une administration, mais sur ses propres pratiques professionnelles n’est pas interdit. C’est ce que je faisais sur ce blog. Il faut veiller à ne pas exposer d’éléments, conversations, rencontres, qui engagent plus que le seul auteur du blog. Je ne crois pas avoir franchi la ligne jaune.

On a le sentiment, malgré de notables évolutions, que dans l’opinion publique — et du coup dans la hiérarchie de l’Education Nationale —, l’homosexualité ne va jamais de soi, constitue un handicap ou pose un problème dès lors qu’on parle d’éducation. Partagez-vous ce sentiment et à quoi l’attribuez –vous ?

Je vous répondrai par un texte : "Pour que la mixité à l’école soit synonyme d’égalité dans la vie, il faut que les aspirations des filles et des garçons se rejoignent davantage. Une meilleure orientation, plus diversifiée, plus adaptée aux évolutions de la société et surtout, plus équitable, contribuant vraiment à l’évolution de la société entre les hommes et les femmes, doit rester un de nos objectifs primordiaux.
Essayons tous ensemble d’emmener les jeunes (…) vers la construction d’un avenir dans lequel les représentations sexuées seront moins souvent la source de tension et de violence, et où chacun pourra, sans arrière-pensée, construire son projet personnel."
Ce texte date de janvier 2003, en préface à un ouvrage collectif intitulé "Pour une égalité des chances."
La volonté est donc affichée. Il faut se donner les moyens de la faire entrer dans les faits. Mais il faut le faire avec prudence et respect, car parler d’homosexualité n’est jamais un sujet simple. Trop de stéréotypes, de clichés, parfois véhiculés par les homosexuels eux-mêmes qui souhaitent simplement montrer que la différence peut et doit se vivre au grand jour, restent vivaces.
Il est difficile d’aborder sereinement le sujet dans les écoles : doit-on faire progresser l’idée de tolérance parce que être homosexuel n’est pas être anormal, ou doit on aller directement à la formulation "être homosexuel, c’est normal", avec l’accusation possible du prosélytisme… Le but final étant bien sûr de dédramatiser le sujet, de faire passer un message de tolérance et de respect au même titre que l’on parle du racisme ou du sexisme… Le but est aussi de rassurer le jeune qui se pose des questions, qui angoisse à l’idée de s’avouer une évidence contre laquelle on le pousse cependant encore à se battre. Avec tous les risques et les conséquences que l’on imagine.

Quel impact a eu cette affaire sur vous et sur vos proches ?

Contrairement à ce que l’on peut penser en sachant que j’écrivais sur un blog publié sur internet, je suis quelqu’un de pudique. Ce blog était un exutoire. Naïvement, oui naïvement, je n’imaginais pas que ce blog pouvait m’apporter des ennuis. Parce qu’il n’y avait rien répréhensible, de contraire à la loi ou aux bonnes mœurs. Parce que c’était une façon de partager avec des (plus ou moins) inconnus, de me créer un réseau d’amitiés virtuelles qui, au fil du temps, ont toujours été des réconforts quand le besoin se faisait sentir.

C’était un blog pour partager ce qui ne se disait pas, ne s’exprimait pas dans la vraie vie. Parler d’homosexualité sur le blog, c’était pouvoir être moi. N’en pas parler dans la vraie vie, c’était éviter un sujet sensible pour mes proches, c’était non pas se cacher, mais être professionnel dans le cadre de mon travail. Je crois pouvoir dire que personne, dans le cadre professionnel, n’a jamais pu savoir ce qu’était ma vie privée. Jean-Louis Bory a écrit un jour : "Je n’avoue pas que je suis homosexuel parce que je n'en ai pas honte, je ne proclame pas que je suis homosexuel parce que je n'en suis pas fier, je dis que je suis homosexuel parce que cela est."
Je n’ai jamais affiché mon groupe sanguin, ou mes goûts en matières de cuisine. Si on me demande, je le dis. Mais je ne l’affiche pas.

J’aurais souhaité pouvoir continuer dans cette voie-là. Hélas, cela a été mis sur la place publique. J’ai heureusement pris les devants avec mes parents qui ont réagi avec beaucoup d’amour et de compréhension. J’aurais aimé leur éviter cette révélation. Je crois qu’il est plus facile de le dire quand on a 20 ans que 48. Faire un coming out devant ses parents à mon âge, c’est comme avouer qu’on leur a menti pendant trente ans. C’est les mettre devant une réalité à laquelle ils ont peut-être refusé de croire. C’est leur briser certains rêves sans avoir le temps d’en refaire d’autres. Je regrette qu’on m’ait obligé de leur faire ça alors qu’ils ont 70 et 75 ans.
Je crois d’autre part qu’il est plus facile de faire un coming out quand on est amoureux. On peut en parler non plus en termes de sexualité mais en terme de sentiment. On passe du lit au cœur. Dans le cas présent, ce coming out auprès de mes parents s’est accompagné du chagrin de comprendre combien je pouvais être seul et le mal-être qui m’habite.

Avez-vous été surpris par l’ampleur des soutiens que vous avez reçu de votre entourage professionnel direct, de vos proches, des syndicats, des internautes, des gays et lesbiennes ?

Surpris ? Le mot est faible. Abasourdi et bouleversé. Tant de marques d’amitié, tant d’encouragements venant de tous bords, c’est exceptionnel. Dans cette épreuve, cette chaleur humaine m’a aidé à tenir, à ne pas lâcher, à retrouver l’envie de faire face. Le plus troublant, c’est le caractère protéiforme de ce mouvement de soutien. C’est pourquoi j’ai beaucoup hésité à répondre. Je ne suis pas le militant d’une cause et je ne souhaite pas le devenir. Je ne suis pas un symbole. Accepter de brandir un étendard, c’est rejeter les autres, ceux qui ne se rangeraient pas sous cette bannière, dans l’ombre. Chacun peut se retrouver, se sentir concerné par mes remerciements. Quelques-uns et quelques unes qui me connaissent ou qui m’ont lu et ont compris ce que j’écrivais sur mon blog, qui ont signé la pétition en ligne sur Internet, quelques uns donc ont eu la gentillesse de mettre en avant le fait que, professionnellement ou hors milieu professionnel, j’étais quelqu’un d’humain. Je ne revendique rien d’autre. Et si je dois endosser une casquette, ce sera celle là, parce que tout le monde, tous ceux qui sont un peu attentifs aux autres, à leurs proches, à leurs collègues, à leurs amis, peuvent se reconnaître. Tout le monde, quels que soient sa vie, ses goûts, ses amours. C’est en tout cas ce que, sur le plan personnel, j’ai envie de retenir de toute cette affaire.

Propos recueillis par Jean-François Laforgerie

Le rappel des faits

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